La finance chrétienne croît, mais peine à répandre sa bonne parole

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"C'est un investissement qui correspond à mes valeurs": catholique pratiquant, Jean François Gapp a investi 3.000 euros dans Kaori.vie, l'assurance-vie du Secours Catholique. Ces dernières années, la finance chrétienne attire toujours plus d'adeptes en France, même si le mouvement n'est pas massif.

"Je ne voulais pas financer des entreprises qui fabriquent des pesticides interdits en Europe ou imposent des cadences infernales à leurs salariés", confie à l'AFP l'ex-enseignant de 63 ans.

Moins connue que son équivalent islamique, la finance chrétienne a à cœur l'investissement social et s'emploie à placer de l'argent dans des secteurs ou des entreprises compatibles avec la Doctrine sociale de l'Église (DSE), via des fonds ou des assurances-vie spécialisés. 

Concrètement, il s'agit de promettre aux investisseurs privés ou institutionnels - congrégations religieuses, diocèses, etc. - que l'argent placé respectera "la protection de la vie et des plus faibles" et bannira "les comportements immoraux, comme la pornographie, l’alcool, la vente d'armes", explique à l'AFP Antoine Cuny de la Verryère, auteur de "Finance chrétienne" (Editions Larcier).

Le mouvement n'est pas nouveau car le premier fonds "éthique" français a été fondé en 1983 par la religieuse Nicole Reille, mais son expansion s'est considérablement accélérée ces dix dernières années, afirme-t-il. La crise des "subprime" en 2008 "a révélé des comportements moralement inadmissibles", servant de "déclencheur" à l'essor d'une finance plus éthique. Kaori.vie, comme d'autres produits chrétiens, accorde une importance particulière aux critères extrafinanciers.

"On regarde les diférences de rémunération, la place des femmes aux postes de responsabilité, mais aussi la manière dont l'entreprise se comporte vis-à-vis de ses sous-traitants, salariés et consommateurs", résume François Soulage, président du Comité d'éthique de cette assurance-vie.

S'ajoutent des exclusions, dont certaines recoupent celles des fonds estampillés "ESG" (qui respectent des critères Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance) ou "ISR" (Investissement Socialement Responsable).

La plupart des produits chrétiens refusent ainsi de financer tabac, énergies fossiles, armement, jeux d'argents, mais excluent en plus les laboratoires produisant des contraceptifs ou des pilules abortives.

"Petit marché"

Aujourd'hui, il est dificile d'évaluer le volume en France de cette finance essentiellement catholique, car elle "ne dit pas explicitement son nom" - préférant souvent l’appellation "fraternelle" ou "éthique" -, dans un pays marqué par son identité laïque, explique Antoine Cuny de la Verryère. 

En 2021, l'Observatoire des fonds d'éthique chrétienne recensait 13 fonds d'investissements "d'au moins 20 millions d'euros d'encours, qui se réfèrent à l'éthique chrétienne".  Ethica de Allianz GI, Porteurs d'Espérance chez Meeschaert ou encore Ethica Balanced d'Amundi : ces fonds spécialisés émanent principalement d'acteurs généralistes de la finance, analyse Alexandre Lengereau du cabinet de conseil Amadéis, chargé de réaliser l'étude pour la Conférence des Évêques de France. 

Au total, ces fonds ne représentent que 1,3 milliard d'euros, "mais ce n'est que la partie visible de l'iceberg", estime-t-il. Car l'Observatoire étudie uniquement les fonds ouverts au public, excluant d'autres supports (produits assurantiels, SCPI) et les fonds gérés pour les institutions chrétiennes, si bien "qu'il faudrait peut-être multiplier par quatre ou cinq" pour mesurer la véritable ampleur du mouvement.  Malgré tout, c'est "un petit marché, afirme M. Lengereau.

Surtout comparé à la finance islamique, dont Bercy estimait en 2019 qu'elle représentait "près de 2.400 milliards d’euros d’actifs dans le monde" et "pourrait atteindre environ 3.100 milliards d'euros à l’horizon 2024".

"Mouche du coche"

La finance chrétienne risque aussi de pâtir du "phénomène de déchristianisation", afirme Alexandre Lengereau, le secteur peinant notamment à répandre la bonne parole chez les jeunes. "C'est notre problème majeur aujourd'hui", confirme M. Soulage de Kaori.vie.

Très engagée sur l'écologie, le social mais aussi le féminisme, la jeune génération épouse en revanche rarement les positions de l’Église sur la contraception ou l'IVG. Autre critique: malgré les promesses, les entreprises dans lesquelles investissent les fonds chrétiens ne sont pas toujours exemplaires. 

Comme pour les labels ISR, "c’est un exercice dificile", estime Alexandre Langereau, afirmant que "2022 a été une année piégeuse" pour toute la finance, avec "des cadavres dans le placard".

Chez Kaori.vie, on assume ne pas être 100% exemplaire: "on préfère rester" dans des entreprises qui ne sont pas parfaites, mais cherchent par exemple à diminuer leur empreinte carbone, pour "les faire bouger", explique François Soulage, "on est là pour jouer la mouche du coche".

La Rédaction (avec AFP)

Crédit image : Shutterstock/ Godongphoto

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